Comme beaucoup de jeunes de ma génération, j’ai grandi avec l’idée qu’un monde meilleur fait de justice, de solidarité et de paix était inéluctable. Le parti communiste était, à cette époque, la force de gauche qui portait l’espérance d’un monde meilleur.
Si j’ai appris à lire , écrire et compter à l’école, tout le reste, je le dois à ce que m’ont transmis mes parents et à tous ces militants de l’Éducation Populaire que j’ai côtoyés dans les divers mouvements d’enfants et de jeunesse. Ils étaient élus municipaux, acteurs associatifs, militants syndicaux ou simples citoyens. Grâce à eux, j’ai appris l’Histoire qui n’était pas, ou très peu abordée dans les manuels scolaires. J’ai pu vivre des projets de solidarité, de partage des savoirs et savoir-faire. J’ai été à la rencontre d’autres peuples, d’autres cultures. J’ai appris ainsi la tolérance, le respect d’autrui. Ma curiosité a été aiguisée par l’exploration des sciences et des techniques. Mes sens ont été stimulés par la découverte des arts et des pratiques artistiques.
L’Éducation Populaire était plus qu’un principe : dans l’action, nous nous émancipions par la connaissance. Nous portions avec enthousiasme le rêve d’une autre société, une société du bonheur pour tous. Ce fut une formidable école de la vie.
Mes parents étaient communistes. Pour eux, l’avènement d’un monde meilleur était une certitude. Le progrès humain était inscrit dans l’Histoire. Après la chute de la monarchie, il était évident que le capitalisme serait abattu. De cette lutte émergerait une société socialiste qui, à son tour, céderait la place au communisme et, étape ultime, à l’anarchisme. Une société où l’harmonie serait telle que les êtres humains n’auraient plus besoin d’un pouvoir incarné par une personne, un groupe, un parti ou une religion. Nous étions prévenus : mes parents, eux, ne connaîtraient pas le socialisme. Mais nous, oui, c’était certain. Et nos enfants verraient probablement émerger le communisme. C’était l’époque où Jacques Duclos venait de faire 21% aux élections présidentielles de 1969.
Mon père était maire de La Courneuve. Il est parti trop tôt. À quarante-neuf ans, l’âge où, normalement, le corps est encore suffisamment alerte pour accompagner un intellect en pleine maturité et effervescence. Son cœur malade depuis de nombreuses années n’a pas été aussi fort que ses espérances. Que penserait-il aujourd’hui? Je n’en sais rien. Ce dont je suis sûr, c’est que jusqu’ à son dernier souffle, il serait resté un militant formidable.
Ma mère nous a quittés à 94 ans. Dans les derniers temps, elle regardait le monde, désolée de le voir se désarticuler. Rien de ce qu’elle avait espéré avec ses camarades n’était arrivé. Aux côtés de mon père, elle était discrète, elle assurait un emploi à temps plein malgré les quatre enfants que constituait notre fratrie. Ce ne fut pas toujours facile du fait des absences et de la santé de mon père. Être à ses cotés, c’était le soutenir , partager ses combats, y participer. Ils ont vécu 17 ans d’un mariage heureux : « Dix sept ans de bonheur ». Elle ne l’a jamais remplacé. Elle aimait rappeler ces propos de mon père : « La fin du capitalisme sera terrible ».
Y sommes-nous ? Cette classe des très riches est-elle en train de gagner la guerre qu’ils ont déclarée aux autres classes ? Ceux qui tueraient terre et mer pour de l’argent, seraient-ils en train de préparer, par leur folle cupidité, la chute de l’humanité ?
Alors que mon enfance et ma jeunesse se sont éloignées depuis longtemps, je ne peux que constater que beaucoup des certitudes que mes parents nous avaient transmises, se sont écroulées. Je reste persuadé, cependant, que le malheur n’est pas une fatalité et que, comme l’a écrit Aragon et si bien chanté Jean Ferrat, « Un Jour Viendra Couleur d’Orange ». Je continue à penser que le communisme est une idée neuve, même si le chemin est différent de celui que mes parents imaginaient. Je reste et resterai un éternel optimiste.
Si, sans m’en être très éloigné, je me suis, pendant vingt ans, absenté du PCF, mes convictions n’ont jamais changé. J’y ai vécu beaucoup de belles choses, j’y ai fait de merveilleuses rencontres. Tout n’a pas été rose. J’y ai aussi rencontré des hommes et des femmes avec qui les rapports furent tumultueux, voire brutaux. J’ai vécu la déception, les erreurs, les conflits et j’en garde de profondes blessures. Le PCF n’est plus pour moi le repère qu’il fut, j’ai compris qu’être communiste ne fait pas forcément de vous une belle personne.
Je suis allé vers d’autres chemins. Ils m’ont été constructifs, m’ont permis d’être plus ouvert et sans doute plus à l’écoute. Cependant, je reste viscéralement attaché à cette belle idée du communisme, aux valeurs qu’elle porte. Je comprends que cela puisse être difficilement compréhensible pour qui n’a pas vécu concrètement cette belle espérance. Mes clés de lecture – pour faire le tri dans ce qu’il y a de bon, de moins bon et de carrément rejetable – sont différentes de celles de citoyens qui n’ont pas vécu de l’intérieur cette belle espérance. Je ne prétends pas les donner, mais je souhaite contribuer, comme d’autres, à la prise en compte réelle de l’apport des communistes dans l’histoire de notre pays et des belles conquêtes qu’il a portées ou aidé à faire émerger. Je veux témoigner simplement de ce que j’ai vécu.
Cet héritage, je le revendique. À l’heure où le PCF ne représente que 2% de ceux qui votent encore, et qu’il est passé de plus de 600 000 à 40 000 adhérents, toutes les valeurs du communisme, ses espérances me portent encore. Si mes révoltes s’expriment de façon différente, elles sont toujours vivaces. L’injustice, l’inégalité, la guerre et son cortège de souffrances me sont toujours insupportables et me font toujours autant souffrir. Les valeurs d’humanisme qui fondent l’espérance communiste ont imprégné mes choix, mon attitude, mes postures dans ma vie professionnelle comme dans ma vie personnelle. Certes, le communisme d’aujourd’hui ne peut être celui d’hier. J’ai connu des évolutions majeures comme, par exemple, l’abandon de la dictature du prolétariat et le choix d’un socialisme par voix démocratique. Il n’y a, chez moi, aucune nostalgie d’un passé perdu, mais une envie d’inventer, de se réinventer en permanence.
J’ai cette espérance d’un monde meilleur chevillée au corps, alors que tout semble contredire cet espoir. Pourquoi cette attache quasi affective ? En quoi mes expériences de vie, de l’enfance à aujourd’hui, font-elles que j’y crois encore? C’est ce que j’ai envie d’explorer en regardant mon passé pour comprendre comment il a tissé le fil de mon histoire et de ce qui a constitué, jusqu’ici, le voyage tortueux d’un éternel apprenti en humanité !